Simplement quelque part

Simplement quelque part

Adventices, photo © Ernesto Timor
Berge limite, Lyon, 2025.

Toujours cette sacrée atmosphère de drame avec toi, m’écriai-je. Je déteste le drame ! Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas mener une vie tranquille ? Écrire un petit bout de texte qui vous vaut une tape d’encouragement sur l’épaule. S’acheter quelque chose de bon à manger et regarder une série à la télé avec sa petite amie en survêtement sur le canapé ? 

Saloperie de médiocrité ! s’exclama-t-il, scandalisé, et son regard se porta sur la plaine. Tu sais qu’Horace a dit que nul ne devrait tolérer la médiocrité de la part d’un auteur. Et toi, tu t’es mis à la vénérer ! Tu es devenu comme l’aide-soi­gnante de ta propre vie. 

Ouais, tu as l’art de trouver le mot juste, dis-je. Il était dépité, comme un petit enfant qu’on a négligé. C’est un peu trop compliqué, dis-je. 

Alors, commence quelque part ! s’exclama-t-il. Comme quand tu racontes une histoire — simplement quelque part ! 

OK. J’ai traversé un divorce difficile. 

Qui n’est pas passé par là ? 

J’ai souffert de harcèlement à l’école. 

C’est courant ! fit-il, sans ménagement. 

Je me sens seul, tout le temps. 

Fuck you ! 

J’ai l’impression que personne ne peut m’aimer.

Sentiment très commun, dit mon ami dépressif. 

Bergsveinn Birgisson, Déperdition de la chaleur humaine (Actes Sud, 2023).

Afficher/masquer le bavardage...
Extrait d’un livre merveilleux et tout à fait fou, qui fait voyager en Islande aux côtés du narrateur et de son alter ego « ami dépressif » en cavale existentielle…

Face à ça, une photo nocturne de bord de fleuve, une étrangeté sans exotisme, à scruter patiemment si on veut y capter quelque chose…