Elle avait presque pas de cheveux, la Libération avait dénoncé les cheveux, rasé les têtes qui lui revenaient pas, les Français s’étaient vengés sur les cheveux de toutes leurs insuffisances, ils supportaient pas, l’habilleuse était sublime, elle aimait qu’on l’aime et elle aimait aimer, allemand ou pas c’est l’amour qu’on aime alors est-ce que c’est un crime national.
Hugo reparle souvent de l’habilleuse avec Mariama, elle aurait pu faire habilleuse s’ils s’étaient rencontrés plus tôt, parler de l’habilleuse avec elle c’est manière de lui dire que si c’est fini du point de vue des capacités les sentiments sont toujours là au cas où elle serait intéressée, il appelait l’habilleuse mon amour et mon cher amour et c’était pas pour de faux, il en était à son époque de l’amour à en mourir, pas de celui qui se rejoue plus tard mais sans les risques de mourir parce que après ça passe, constate Victor Hugo, on fait gaffe à ses abattis, c’est un regret tout de même, l’amour à en mourir, oui ça c’est un regret.
Un jour qu’il s’enfonçait dans cette mauvaise pensée du regret je lui avais dit qu’on pouvait pas avoir le beurre et son argent et que c’était bien peut-être de ne pas risquer à chaque instant de mourir d’amour si on voulait vivre longtemps, je l’avais dit l’air de rien en continuant de faire la poussière parce que ça mérite pas non plus une conférence de presse, c’était pour essayer de limiter les regrets qui n’apportent rien de bon, mais en dehors de mon travail social en vérité c’est une chose qui me tracassait, cette histoire de mourir d’amour et de ce que ça veut absolument rien dire vu l’état des sentiments à l’âge adulte.
Noémi Lefebvre, L’état des sentiments à l’âge adulte (Ed. Verticales, 2012).