
shot: mar 05 | printed: today | share it, outskirts of paris
Et tout le monde vivait comme nous, en petits groupes très unis : c’étaient des milliers de foyers rougeoyants d’attention et de tendresse et constamment entretenus par une circulation de petites idées, de textes brefs et pleins de jeux de mots, de photos détournées, de logos ironiques, de bijoux rigolos et de performances blagueuses dont la succession désordonnée, les va et vient incessants et les rebondissements systématiques imitaient la progression tortueuse, faite d’avancées fulgurantes et de longues plages de silence, de la conversation. Nos œuvres ressemblaient à des tournées générales : légères, périssables, elles s’élaboraient en bande, spontanément, sans autres spectateurs que les participants qui, sans cesse, cherchaient à se faire rire, se séduire ou s’émouvoir tout en zigzaguant d’une fête à l’autre jusqu’à l’aube.
Ils n’arrêtent jamais de parler : à peine acquis, le moindre corpus leur est lexique. Ils aimeraient que je leur donne la réplique mais, malgré mes efforts, mes lèvres restent scellées. Je ne peux pas, comme eux, répéter, pasticher, combiner. En moi comme au dehors, les signfications se sont réduites, écaillées, éclaircies, laissant le mouvement apparent : reflets déformés des passants dans les vitrines, scènes entrevues depuis la rocade et, dans la pénombre, rails luisants formant de fugitifs réseaux. Autant de systèmes autonomes, aléatoires, indifférents, machinant ma disparition.
Philippe Vasset, Bandes alternées. Beaucoup d’intelligence et d’ambivalence sans fond dans les faux petits livres de cet homme-là.
