
et je revois ce que j’ai cherché à ne jamais revoir, je le dis d’une voix douce à Zoltan, je lui dis que ça ne le regarde pas mais je lui parle d’elle, de son apparition sur le devant de la scène, je lui parle de cette femme comme si elle dansait devant nous à la Fonda Plate, de cette femme délicatement éclairée par un projecteur, de son visage ovale à peine entamé par de fines rides à la lisière des pommettes gengiskhaniennes, barré par les horizontales parfaites de ses yeux, des yeux de myope qui ne s’arrêtent sur rien mais semblent fixer de lointains secrets, cette femme Zoltan qui possède l’inexplicable souveraineté des femmes mûres — Prince l’avait découverte le cœur battant la gorge nouée, elle était la question, la question Zoltan, l’énigme pure —, la bouche est idéalement ourlée, des pendentifs de jais sont accrochés à ses oreilles, sur les cheveux sombres ondés coupés court elle porte un calot de hussard qui énergise ses traits lui donnant des manières garçonnières cependant que les entrelacs de la hongroise d’argent font songer à des filets de sperme, Prince pense Je ne dois pas me dissoudre il vaut mieux que je parte en morceaux, Cornélius à ses côtés lui souffle C’est elle c’est Carla Marx.
(Apparition saisie dans Les indignitaires, de Jean-Pierre Enjalbert, brillant et puissant monologue post-situationniste qui bien sûr accouple l’utopie libertaire à la libertine… Des icônes à moi y sont brûlées, d’autres y prennent de belles formes, la révolution magique n’est pas loin…)
