
« — A quoi que vous passez vot’ temps ? demanda-t-elle, quelques bouteilles plus tard.
— Autrefois, on faisait de la métaphysique, répondit Etienne.
— On en fait encore de temps en temps, ajouta Saturnin, mais ça devient de plus en plus rare.
— Pourquoi ça ?
— A cause de la pluie.
— Eh bien, hurla la la la reine se dressant vers la nuit qu’illuminait un rond morceau de suif auquel des coups de pouce déments avaient donné figure humaine, eh bien, la pluie, c’est moi…
— C’est pas vrai, dit Saturnin.
— Dis donc, toua, tu m’prends pour une menteuse, maintenant ?
— Oh ça non, ça non !
— Eh bien oui, je suis la pluie ! La pluie qui dissout les constellations et qui détraque les royaumes, la pluie qui inonde les empires et qui humecte les républiques, la pluie qui emboue les godasses et qui se glisse dans le cou, la pluie qui coule le long des vitres sales et qui roule vers les ruisseaux, la pluie qui emmerde le monde et qui ne rime à rien. Je suis aussi, tenez-vous bien, le soleil qui défèque sur la tête des moissonneurs, qui écorche les femmes nues, qui flambe les arbres, qui pulvérise les routes. Et je suis aussi le verglas qui casse la gueule des gens et la glace qui s’entrouvre sous les pas de l’obèse et la neige qui refroidit les râbles et la grêle qui démolit les crânes et le brouillard qui humecte les poumons. Yo soy aussi la belle saison, les mois de printemps qui font éclore les maladies vénériennes, bourgeonner les faces et gonfler les ventres. Zé souis le printemps qui vend vingt sous son brin de muguet et l’été qui fait crever de trop vivre. Ch’suis l’automne qui fait pourrir les fruits et l’hiver qui vend son buis le jour des rats morts. Ich bine la tempête qui hurle avec les loups, l’orage qui fait rage, l’ouragan qui dépouille ses gants, la tornade qui reste en rade, la bourrasque qui s’efflasque, le cyclone sur sa bicyclette, le tonnerre qui tête et l’éclair qui lui, luit. Haillame…
— J’ demande à vôhar, interrompit Saturnin qui commençait à être un peu givre. »(Les mots sont encore empruntés au sublime Chiendent de Raymond Queneau.)
