Travaux personnels, galeries d'art et d'essai

Contribution à « l’esthétique de la méfiance »

Photo © Ernesto Timor
shot & printed: may 09 | human notepad | paris

Etat des lieux (Notepad) : une séquence nouvelle venue dans les Parcours en marge (side-project des Limites nous regardent). La visite est fortement conseillée…
En ouverture de cette histoire prétendument sans paroles, un extrait d’Antoine Volodine aux résonances plus que jamais troublantes. Je le reproduis ci-dessous en une version sensiblement plus longue, pour mes compagnons en lectures obscures…

« Les séquences [de La Shaggå] illustrent une anecdote lyrique qu’on devine extraite d’un univers mythologique complexe, luxuriant, dont on doit soi-même déduire et imaginer les éléments fondamentaux, car rien n’en est expliqué par ceux ou celles qui ont la parole. Sept facettes d’un même événement sont décrites ; l’action obéit en même temps à des principes d’incertitude et à une tenace exigence de stagnation narrative, voire de répétition. On éprouve des doutes sur ce qui se passe, et pourtant une seule chose se passe, à quoi on assiste plusieurs fois. Une phrase travaillée, volontiers précieuse, un vocabulaire riche, une prose ornementale soutiennent cela.
L’effet obtenu a des implications qui vont au-delà de l’esthétique. Il est en relation avec le statut du lecteur, de l’auditeur. La Shaggå semble s’adresser à un lecteur qui est en connivence idéologique et culturelle étroite avec l’auteur, mais elle sonne devant un public plus vaste, inconnu, parmi lequel se dissimulent des entités inamicales. C’est pourquoi aucun message significatif n’est délivré. Seule est communiquée la forme que le message aurait pu prendre s’il avait été transmis et crypté. La Shaggå classique offre au lecteur détenu — son seul destinataire réel — un temps de complicité inaboutie. Au lecteur occasionnel, elle offre un moment de calme caresse poétique. Au lecteur rapace, un espace équivoque où son hostilité se gaspillera. »

Antoine Volodine, Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze.