
SEPTIÈME TABLEAU. Plus tard encore. Toutes les yourtes se sont effondrées. Des incendies fortuits ont éclaté et les ont détruites.
Grodzo est mort. Le silence a envahi la scène. A cappella s’expriment les acteurs. La maquette du passé a été trop souvent piétinée pour que l’on songe encore à la reconnaître. La neige ne brille plus. Quelqu’un a traîné Grodzo jusqu’à un talus et l’a recouvert de scories. Les ours viennent lui renifler le thorax, blancs, et ils le mordillent.
La raison de Tariana n’a pas resurgi. Cramponné à celle qu’il aime, le Breughel a sombré à son tour. Quelque naufrageuse que soit leur perception commune du présent et de l’étreinte, les deux amants continuent à s’entraider, souhaitant la fin, mais ne l’accomplissant pas, ne sachant comment agir pour l’accomplir.
Chaque jour, quand le soleil indique six heures à l’horizon de six heures, ils répètent un extrait ou une variante de leur opéra balkhyr. Ce n’est plus pour eux qu’un rite de tendresse. Les chants qu’ils entonnent ne ressemblent plus à rien et ils sont superbes. Les animaux ne les regardent plus, ne les écoutent plus. L’infinie quiétude de la destruction entoure cela.
On les voit parfois s’interrompre au milieu de telle ou telle scène. Ils s’élancent l’un vers l’autre, ils courent, ivres du bonheur d’être restés ensemble, d’être ensemble au-delà de tout, malgré tout. Ils tâtonnent l’un vers l’autre et ils s’accouplent. Il n’y a plus de différence entre eux et les bêtes. Leurs voix sont magnifiques et elles ne ressemblent plus à rien.
Leurs voix sont extrêmement belles. Ce sont les dernières.(Antoine Volodine, Nuit blanche en Balkhyrie. Ce sera mon dernier extrait de ce livre-ci, vous pouvez reprendre une activité légère et normale.)
